Une passion partagée de père en fils
Reportage et entretien : Thierry Rippol (Toreria.net pour vuelta)
Fontanès, qui signifie “le lieu de la source”, est un village de l’Hérault de 300 habitants aux pieds du Pic Saint Loup, et paradoxe, son aura est plus du aujourd’hui à ses vignobles classés AOC qu’à sa fontaine et son péage de la Tour de la Roque, symboles d’une histoire fortement liée à l’eau.
C’est là qu’en 2008, Gilles et Matthieu Vangelisti, ont débarqué les premières bêtes de leur toute nouvelle ganaderia, issues de chez Jandilla par Torrehandilla et Daniel Ruiz ensuite…. Sur les terres du mas de Lacan que Michel Rouquette, beau-père du ganadero, mais également passionné de tauromachie, leur mis à disposition pour développer leur élevage… à ces 150 ha, viennent s’ajouter une cinquantaine d’hectares au Mas de Page à Gallician pour les fourrages, dans le quartier Saint Sébastien, qui donna le nom de la ganaderia en l’hispanisant….
Rencontre avec l’éleveur :
-Quand, pourquoi et comment, on se lance dans l’aventure de l’élevage du toro de combat ?
Pour moi, il s’agissait de réaliser un rêve d’enfant qui était d’être un jour manadier. J’ai grandi à Mauguio où la course camarguaise était très présente et je crois que la passion du taureau a débuté dans la cour d’école et dans les arènes du village.
-Une passion de jeunesse favorisée par une collaboration professionnelle avec Simon Casas ?
C’est en effet ma rencontre avec Simon Casas, dans les années 1980, qui m’a permis de découvrir la corrida que je ne connaissais que très peu auparavant. J’étais jeune avocat à l’époque et j’ai commencé à travailler pour lui et du coup, le « virus » du taureau camarguais s’est muté en virus du « toro brave ».
-Une passion partagée avec votre fils Matthieu, qui a créé, entre-autre en décembre 2014, le projet Happycionado pour transmettre la culture taurine, l’aficion, et ses valeurs aux plus jeunes.
Matthieu a créé ce projet tout seul et je dois dire que je suis très fier de lui ! Il a imaginé le concept, dessiné les premières arènes gonflables, suivi la fabrication puis développé le projet à travers les ferias en France, en Espagne et au Portugal !
Son ambition est de créer de l’aficion et pour cela il est nécessaire de s’adresser aux plus jeunes afin que notre culture ne se perde pas. Le succès de ce projet est tel qu’il a, depuis, été copié ou imité par d’autres, ce qui est le gage d’une bonne transmission.
Il prépare d’ailleurs un deuxième livre de jeux destinés aux enfants après celui intitulé « Découvre la tauromachie en t’amusant » parrainé par Sébastien Castella. Ce deuxième tome devrait sortir dans le courant de l’année.
Pour la ganaderia, je ne me suis lancé dans sa création qu’avec l’assentiment de Matthieu car je savais dès le début que cela supposerait des coûts, des sacrifices et beaucoup de temps. Je savais que finalement c’est surtout lui qui pourrait en retirer, non pas de bénéfices, mais les fruits du travail accompli. Et je dois dire qu’il est encore plus passionné que moi sur l’aspect sélection et devenir de l’élevage.
-Avant d’évoquer les graves problèmes actuels, on pourrait faire un état des lieux sur votre élevage en 2020….
Notre cheptel est relativement réduit puisqu’il ne compte qu’une soixantaine de vaches reproductrices. Nous comptons à ce jour trois sementales : un d’origine « Jandilla », un autre de José Vazquez et un dernier issu de notre élevage provenant d’une très bonne famille d’encaste Jandilla.
Nous avons deux lots de vaches pour la « cubricion » et en principe nous séparons les « Jandilla » et les « Daniel Ruiz ». Petit à petit, les vaches marquées de San Sebastian sont de plus en plus nombreuses mais nous maintenons globalement la séparation des deux origines même si l’encaste Jandilla reste très largement majoritaire.
-Des lots prévus pour 2020 Non-piqué, novilladas, corridas… Et lesquels étaient retenus ou en voie de l’être ?
Pour 2020, nous avons une vingtaine de mâles âgés de 2 ans que nous souhaitons conservés pour une ou deux novilladas piquées en 2021. Du coup, nous n’avions rien de prévu pour cette année, ce qui, finalement est un moindre mal, compte tenu de la situation sanitaire actuelle.
-Vous avez un « taurodrome » pour faire courir vos toros….?
Lorsqu’un lot est prévu pour une arène, nous faisons courir les toros en effet. Nous avons organisé un parcours qui permet de faire courir et en même temps d’habituer les toros à entrer dans les corrales de manière à limiter les problèmes les jours d’embarquement. La fréquence est d’environ 3 fois par semaine et pendant 3 à 4 mois avant la sortie. Une faena campera que nous faisons à deux : Lionel notre mayoral et moi-même.
-Y a-t-il un torero de la maison ?
Il y a surtout des amis avec qui nous partageons des moments privilégiés lors des tentaderos . Parmi les « habitués » il y a bien sûr El Rafi, Andy Younes, Thomas Dufau et Sébastien Castella lorsqu’il est de passage dans la région.
-Comment vous projetez dans l’avenir avec votre élevage (En faisant abstraction du problème du Corovirus)
Notre ambition est surtout de trouver et conserver les qualités qui font de l’encaste « Jandilla » l’une des origines les plus appréciées à la fois des professionnels mais aussi des aficionados. C’est, je crois, l’origine qui présente le meilleur équilibre entre bravoure et noblesse.
-Première novillada piquée, 2013 à Tarascon, excellente avec vuelta au 5eme, la seconde à Saint Gilles en 2015 de bonne tenue, une 3eme à Nîmes en 2016 qui laissera quatre oreilles pour des débuts en arène de 1ere catégorie, un 1er toro de San Sebastian à Ales en 2018, primé d’une vuelta posthume…. Et en septembre 2019, un flop pour votre seconde novillada à Nîmes. Quelles explications ?
En voulant trop bien faire pour cette novillada, j’ai commis une erreur en termes d’alimentation, ce qui a provoqué des fragilités ligamentaires et donc des faiblesses. Cela nous a fait d’autant plus râler que les qualités intrinsèques des novillos étaient certainement supérieures à ceux lidiés en 2016… Mais bon, nous apprenons de nos erreurs !
-Aujourd’hui tout est à l’arrêt. Coté taurin, plus d’arènes jusqu’à nouvel ordre, plus de tientas….
Comme je l’ai dit avant, nous n’avions rien de prévu cette année donc pour nous, cette crise aura moins de conséquence que pour certains de nos amis ganaderos qui avaient des lots déjà réservés. Pour certains, la situation risque d’être très compliquée. Sinon, côté moral, on reste positif même si on ne sait pas trop ce que l’avenir nous réserve ? Dans tous les cas nous avons la chance de vivre notre passion, donc c’est déjà énorme ! Après, nous reprendrons les tentaderos dés que les mesures de confinement seront levées, j’espère fin mai début juin ! Après, si les toreros doivent mettre un masque pour tienter, on leur fournira des masques de fabrication maison !
-Autre préjudice important spécialement pour ce qui est tout de même une entreprise, les journées au campo, les fiestas camperas des clubs taurins, les tientas etc… etc…
Pour ce qui nous concerne, nous n’organisons pas ce type d’activité, donc là encore l’impact de la crise sanitaire sur notre ganaderia reste limité. Mais pour beaucoup d’amis ganaderos, la situation est plus compliquée à cause des mesures de confinement et d’interdiction de rassemblements. C’est une partie importante des ressources qui se trouve paralysée.
-Y a-t-il des aides qui ont été évoquées concernant l’élevage du toro de combat ?
La Région Occitanie vient d’annoncer des aides pour les élevages « Camargue » mais qui ne semblent pas pour l’instant être accordées aux taureaux de combat. J’espère qu’il n’y aura pas de discrimination entre les deux types d’élevages car les ganaderias participent, au même titre que les manades, au développement culturel, touristique et environnemental de nos territoires. Quant à la Région PACA, elle vient d’annoncer qu’elle va également aider le secteur de l’élevage qu’il soit camarguais ou espagnol.
Depuis 2008 l’élevage s’est immiscé dans notre histoire taurine et ganadera en attendant une année 2021 plus prospère et plus sereine pour tous, depuis peu un troisième Vangelisti préside aux destinées de la ganaderia de San Sabastian, Valentin auquel on ne peut que souhaiter de partager dans un monde moins fou, les rêves de son père et de son grand-père