Reportage campo : rencontre avec Patrick Laugier, éleveur de toros depuis 1987

Et président depuis 2014 de l’Association des Éleveurs

Campo-Patrick Laugier

Reportage : Thierry Rippol (toreria.net pour vuelta)

Eleveur de taureaux de combat depuis 1987…. Président depuis 2014 de l’Association des Éleveurs Français de Toros de Combat, il est pour le moins pessimiste sur l’avenir des tauromachies et par la même des ganaderos, manadiers et autres acteurs d’une culture à laquelle la « bien-pensance actuelle» tourne résolument le dos. Et pourtant

-Patrick Laugier et ses filles, Margaux et Marie…..Ou plutôt les éleveurs des fers de Paradis, de Piedras Rojas et de Dos Hermanas. Après avoir tenté sa chance comme novillero, l’arlésien s’est essayé comme ganadero des 1987 ou il commence avec diverses bêtes issues d’élevages français. Il passe au stade supérieur en acquérant à R. Margé en 1995 un lot d’origine Cebada Gago auquel il ajoute un semental de Torrestrella. C’est la ganaderia du Paradis, aujourd’hui en sommeil. Trois ans plus tard il créé un nouvel élevage, celui de Piedras Rojas avec des bêtes achetées directement au Marques de Domecq, très brièvement en association avec Robert Piles. En 2006 enfin, au nom de ses deux filles, il fait l’acquisition d’un lot chez Sanchez Arjona, d’encaste Juan Pedro Domecq, un troisième fer qu’il baptise Las Dos Hermanas, qu’il inscrit en Espagne à l’association des « Ganaderos de Lidia Unidos »…. Ce sont ces deux derniers élevages qui portent aujourd’hui, haut les couleurs du ganadero provençal qui est également le président de l’Association des Éleveurs Français de Toros de Combat.

Une corrida et une novillada devaient être combattus cette année dans des arènes de 1ere catégorie. La première en France, la seconde en Espagne…. Avec le Covid19, ces deux lots resteront sur les terres ocre, la garrigue, les bosquets, les chênes, et le marais, des 180 hectares du domaine de l’Ilon entre Arles et Le Paradou, dans le parc naturel régional des Alpilles, en présence d’un crapaud rare : le pélobate, et de la tortue aquatique cistude. Ce qui lui vaut une menace d’expulsion, raison pour laquelle en 2014 il s’est installé avec son char sur la place de la République à Arles et entamé alors une grève de la faim. Et un projet de réinstallation dans le Sud-ouest, à Eauze dans le Gers.

-« J’ai aujourd’hui trop de bêtes, prés de 200 et il me faudra en réduire le nombre. Le monde du toro va mal et je ne pense pas que cela va s’arranger dans l’immédiat… » Pour l’éleveur proprement dit les efforts en faveurs du toro français ne sont pas suffisants… « Beaucoup de paroles et de promesses, mais dans le concret, on est encore loin d’un bon taux de participation… »

Si on enregistre une hausse du nombre des becerros français combattus en 2019 qui atteint 87% des lots en France, le constat est moins satisfaisant au niveau des novillos (62 seulement lidiés en 2019) et des toros (58 combattus l’an dernier).

Et quand on évoque la crise sanitaire et économique qui nous frape de plein fouet, c’est le président des ganaderos français qui réagit… « La encore beaucoup d’effets d’annonce mais après plus de 10 semaines de confinements on n’a toujours pas vu un centime d’aide arriver… Et tous les jours, ce sont des dizaines de tonnes de fourrage et des tonnes de complément qui sont données aux toros par les éleveurs, sans compter les soins vétérinaires et autres… souvent des bêtes qui passent avant notre confort familial…. »

Pas mal d’initiatives on vu le jour pour leur venir en aide. Celle du Soutien aux Toros de France à l’initiative de Julie Bérard et d’une équipe d’aficionados sincères et sans arrières pensées, touche le plus P. Laugier. « C’est surtout leur soutien moral qui nous donne l’envie de continuer et au nom de tous mes confrères je leur adresse mille mercis…. Eux c’est du spontané et du désintéressé…. 

Une tombola solidaire de nos toreros (AMTF) en faveur des ganaderos français a également vu le jour et des aides institutionnelles annoncées mais longues à arriver… « Si elles arrivent… C’est comme l’inadmissible discrimination de la présidente de la Région Occitanie envers les ganaderos… Qu’ils soient éleveurs de taureaux camarguais ou de toros bravos, ce sont des éleveurs, des agriculteurs qui de plus maintiennent une biodiversité, un écosystème sur leurs terres. Pourquoi ? Des écologistes qui veulent la disparition d’une race unique par leur aveuglement… Des terres, qui sans leur maintien dans leur milieu naturel grâce à l’élevage du taureau, seraient couvertes d’hectares de serres pour y faire pousser des fraises ou des tomates…. Je ne les comprends pas… »

Des voies s’élèvent pour voir combattre plus de toros français dans nos arènes…

« Souviens toi de la Langue Bleue… on a sauvé la baraque et on a très vite était oublié. Aujourd’hui tout le monde pérore qu’il faut consommer français, s’habiller français, soutenir nos soignants…. Une fois la crise à peine dissipé, ça reviendra comme avant. Premier lâcher, plus de 3h00 de queue pour un handburger chez MacDo… Des files interminables devant des magasins qui ne vendent que des besingognes made in China…. »

Revient sur la table l’imposition de quotas… « Imposition n’est pas le terme le plus juste. On est aujourd’hui capable en France de présenter des novilladas et des corridas qui valent autant sinon plus que celles qu’on nous sert régulièrement… Ce serait facile de se réunir tous autour d’une table, élus, empresas, éleveurs, toreros et professionnels et mettre en place un plan décennal avec des engagements afin que l’on puisse savoir ou l’on va, gérer nos élevages en fonction d’un marché prédéfini, plutôt de vivre à la petite semaine… Mais ça ce n’est pas demain qu’on risque de le voir… »

Sur une cinquantaine d’élevages, une dizaine ne devrait pas s’en remettre… Même problèmes coté camarguais et pourtant toutes nos fêtes, votives ou ferias tournent autour du toro, du biou. Au delà de notre culture et de nos tradition, c’est tout un pan économique est en grand danger…. « Les gens qui viennent en Camargue, c’est pour y voir des taureaux et des chevaux, les centaines de milliers qui viennent faire les ferias, c’est pour vibrer autour de ces bêtes que l’on aime, que l’on vénère comme des seigneurs, des dieux… Et ça fait aussi un grand bien à l’économie locale.. »

Les déclarations du 2 juin prochains pourraient peut-être redonner un peu le sourire à nos éleveurs…. « Si cela devenait possible, on envisagerait d’organiser quelques fiestas camperas dans les élevages histoire d’essayer de sauver ce qui peux encore l’être pour certains… »

Mais là encore rien n’est gagné. Pour le président de l’Association des Éleveurs Français de Toros de Combat, il est difficile d’imaginer un retour des corridas cette année, trop de complications et de frais supplémentaires pour un taux de remplissage extrêmement réduit… Et puis les gens aussi sont encore dans un état d’esprit anxiogène peu compatible avec l’envie de se retrouver sur des gradins…

« Je ne vois pas comment on pourra revenir comme avant… » Il faudra du temps, beaucoup de temps…

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