Reportage Campo : les ganaderias gersoises de l’Astarac et Camino de Santiago

« Depuis deux mois, pas un centime n’est rentré »

Campo-Jean Louis Darré

Reportage et entretien : Thierry Rippol (Toreria.net pour vuelta)

Depuis deux mois, pas un centime n’est rentré…Seules les annonces des annulations des fêtes et ferias arrivent… Il faut continuer à soigner les bêtes, les nourrir… Et on ne sait pas quand ni comment cela va évoluer. Nous qui ne vivons que des toros et de la restauration, nous sommes dans deux domaines hermétiquement fermés… Pour l’éleveur gersois qui vient de voir deux corridas et une novillada prévues en Espagne, annulées, l’année 2020 s’annonce plutôt noire….

Comme la plupart des jeunes vicois, Jean Louis Darré connaissait les toros par les arènes de Vic Fezensac et le rugby, qu’il pratiquait à Mirande, deux pôles d’attraction qui le menèrent à Michel Lagravère qui rêvait de devenir torero. Et qui un jour lui demanda de devenir son valet d’épée. De 1986 à 1992, notre futur ganadero fit des allers retours entre Bars et les villages de France ou de Castille où toréait son torero.  Il y renforça son aficion, rencontra de nombreuses personnes du mundillo et des éleveurs, il vécu une aventure  qui lui susurra l’envie d’élever des toros de combat.

C’est au retour d’une manifestation d’agriculteurs à Paris que le paysan gersois, écœuré de l’agriculture traditionnelle, décide de mettre, sur ses terres de Bars, un élevage de toros braves. Pour démarrer son troupeau en décembre 1992, il acquiert une vingtaine de vaches de ventre et un semental à Jean Riboulet, d’origine Guardiola.

L’Astarac, ancien pays gascon au sud du département du Gers, et un peu dans les Hautes-Pyrénées, correspond à un ancien comté apparu en 930, dont le chef-lieu était Mirande, entre Gimone et Osse. Son pays donnera son nom à sa ganaderia.

Une quarantaine de vaches de ventre et deux étalons se partagent une cinquantaine d’hectares entre le  » Cantaou  » à Bars et le   » Coularot  » à St Christaud. Une ganaderia qui reste toujours fidele au troupeau d’origine, seulement rafraichit avec un semental de Yerbabuena en prés de 30 ans.

La première sortie à lieu Aignan en 1997 pour une non piquée avec à l’affiche deux débutants El Fandi et Sébastien Castella, qui coupera ce jour là la première oreille de sa carrière.

10 ans plus tard, à  l’automne 2002, J.L. Darré créait une seconde ganaderia qu’il baptisera Camino de Santiago avec des vaches de Santafé Martón, élevage d’origine Marquis de Domecq-Martelilla. Une soixantaine de becerras neuves et deux sementales du Marquis… Aujourd’hui se sont 400 bêtes, dont 130 mères, qui se partagent les 250 ha  » Du Penin  » à Monclar sur l’Osse et Pouylebon sur le Chemin de Saint Jacques de Compostelle…. Une encaste d’origine rafraichie par du Lagunajanda de l’Albareal et du Conde de Mayalde ….

A partir de là, Jean Louis Darré mène de front ses deux élevages qui nécessitent la production des 400 tonnes de foin pour nourrir Guardiola et Domecq, les autres activités agricoles de l’exploitation ayant été abandonnées. La relève est assurée puisqu’à la tête de son exploitation, Jean Louis a été rejoint par son fils Romain qui l’aide à plus de 100%.

En 2006 les deux fers font leurs débuts en novilladas piquées à Rieumes et Millas. En 2008, une corrida de toros de L’Astarac à Vic relance la carrière d’Alberto Aguilar qui coupe deux oreilles et assoit la réputation de l’élevage gersois.

En 2012, la première corrida du Camino de Santiago sort à Mimizan, des arènes qui feront confiance à ce fer à plusieurs reprises. Et en 2016, grâce à l’aide de Michel Lagravère, c’est le marché espagnol qui s’ouvre Zalamea la Real, Baeza (novillada), Almagro, La Adrada, Barbastro… et avec des toreros comme Paquirri, Padilla, Lopez Simon, Le Cid, Finito de Cordoba…

Rencontre avec Jean-Louis Darré

-Comment vous projetez vous dans l’avenir avec vos élevages ?

C’est très compliqué et ça l’été même avant l’arrivée de ce virus…. Les toros sont pointés du doigt et les activités qui lui sont liées subissent les mêmes influences négatives….

-Vous êtes l’un des ganaderos français qui sort le plus, notamment en corrida, si l’on excepte vos confrères qui ont des arènes en gestion. Comment l’expliquez-vous ?

Déjà j’ai deux encastes différentes ce qui m’ouvre des cartels variés… Ceux de L’Astarac sont dans un créneau plus torista et la corrida de 2008 à Vic a assis leur réputation…. Les Camino sont plus toréables même si je leur reconnais un certain manque de forces et là, ce sont principalement les lots lidiés en Espagne, et par des toreros de tout premier plan, qui ont fait leur renommée…. Par contre, l’an passé à Eauze, j’ai pris un gros coup sur la tête….

-Vous l’expliquez comment ?

Un cauchemar… D’accord il faisait 40° sur le sable et plus dans les chiqueros, mais cela n’explique pas tout loin de là…. Les six se sont arrêtés des les premiers muletazos. Je ne veux pas fuir ma responsabilité d’éleveur mais il faut que je trouve le pourquoi de cet échec et corriger le tir au plus vite…. Mais ça fait mal…

-Un élevage à gérer ce n’est pas simple, sur des propriétés séparées. Élever deux encastes distincts, vous pouvez évoquer les différences fondamentales au niveau du comportement au campo et sur la sélection….

Les Camino sont plus réguliers, globalement ils sont dans une certaine continuité mais je leur applique une sélection plus sévère, en tienta c’est une vache sur dix en moyenne qui est conservée… C’est plus compliqué avec les Astarac, ils sont très irréguliers à l’instar de leurs origines ou tout bon ou tout mauvais. Mais dans les deux cas j’applique mes critères de sérieux tant au moral qu’en présentation.

-La relève c’est Romain votre fils ?

Il y est en plein dedans…. Moi à 66 ans je me dois de le laisser prendre les affaires en main avec sa propre vision, même si l’on partage les mêmes visions des choses. Et je ne veux pas oublier les copains qui jouaient avec moi à Mirande sur lesquels on peut compter pour les faenas camperas…

Sans oublier sa compagne, Véronique, qui à l’époque, participa comme juriste à la défense des arènes de Rieumes et leurs démêlées avec les anti-corridas, et qui finit en y faisant le paseillo en tant qu’alguacililla. Elle continue de défiler après Rieumes, Arles et Fenouillet, dans de nombreuses arènes du Sud-Ouest dont Vic Fezensac, souvent accompagnée de sa fille Eugénie.

-Aujourd’hui tout est à l’arrêt. Coté taurin, plus d’arènes jusqu’à nouvel ordre, plus de fiestas camperas….

Déjà on espère que fin mai on pourra reprendre les tentaderos même si c’est en confiné… Mais pour le reste j’ai peu d’espoirs que la situation se débloque dans les semaines, voire les mois à venir… Depuis deux mois, pas un centime n’est rentré au Cantaou. Les novilladas et les corridas nous restent sur les bras, mais nous vivons aussi et pas mal, des fiestas camperas, des réceptions des clubs taurins et autres festivités liées aux toros, de la restauration, l’agro-tourisme…. Et là aussi tout est bloqué, annulé. Jusqu’à quand ?

En Astarac, ancien pays gascon au sud du Gers, surmonté par un éventail de pouges serpentant dans les vallées entre Gimone et Osse, le relief assez accidenté contribue à en faire davantage des terres d’élevage de bovins qu’un pays de céréaliculture, c’est là qu’il y a prés de trente ans, JL Darré s’est lancé par deux fois dans l’élevage du toro de combat… L’une avec une consonance qui se vend mieux, les toreros préfèrent le Camino… et une qui plait plus aux aficionados l’Astarac !  Avec le secret espoir que tous se retrouve prochainement autour du toro dans une arène…

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